Ce texte est la quatrième et dernière publication d'une longue série portant sur l'écoféminisme et la viticulture.
Les constats de la bibliographie et de l’étude quantitative ont permis de valider deux hypothèses cruciales. Tout d’abord, il est manifeste que des disparités de genre persistent au sein du secteur viti-vinicole, mettant en lumière des inégalités entre hommes et femmes. De plus, une divergence de perception des enjeux environnementaux en fonction du genre se dessine, révélant une sensibilité accrue des femmes aux changements climatiques et à l’impact de leurs activités viti-vinicoles sur l’environnement. Dans la continuité de ces constats, notre démarche se tourne désormais vers l’exploration des trajectoires de vie genrées afin de comprendre l’origine de ces différences. Nous chercherons notamment à dévoiler la manière dont ces parcours de vie orientent les femmes vers des actions en faveur de la transition écologique, favorisant des pratiques plus responsables et respectueuses de l’environnement.
La prise en compte des facteurs de construction sociale dans l’engagement des vignerons et vigneronnes pour la transition écologique revêt un enjeu de taille. Cette perspective ouvre la voie à une responsabilisation des acteurs du secteur viti-vinicole et pousse à l’exploration de leviers d’action visant à faire évoluer les mentalités.

En somme, notre approche vise à contextualiser les différences observées, en mettant en lumière les influences des trajectoires de vie genrées, et à promouvoir une prise de conscience quant aux facteurs socio-économiques à l’origine de ces disparités. Cette compréhension approfondie devrait contribuer à orienter les acteurs du secteur vers des pratiques plus inclusives et durables face à l’urgence écologique.
Chaque axe de différenciation retenu sera donc abordé de la manière suivante : observation, thèse expliquant comment le facteur étudié favorise l’engagement écologique, puis exemples de terrain ou issus de la bibliographie.
Une formation diversifiée chez les vigneronnes qui favorisent la prise de risque et les pratiques durables
Une majorité de reconversion chez les vigneronnes qui les rapprochent du vivant
ou leur font voir le métier dans sa globalité.
Avant d’opter pour un métier de vigneronne, les femmes ont rarement suivi les mêmes cursus que leurs homologues masculins et n’ont donc souvent pas acquis les mêmes connaissances, ni développé les mêmes compétences. Souvent, elles ont préalablement exercé d’autres professions, marquant ainsi une diversité d’expériences avant de consacrer leur engagement à la viticulture. On observe en effet un grand panel de formations et de métiers différents (ingénieure, architecte, vétérinaire, la communication, journaliste, professeure, avocate) avant la création ou la reprise d’un vignoble.
L’exploration d’autres secteurs professionnels que celui du vin offre aux femmes vigneronnes des avantages significatifs, tels qu’une sécurité financière renforcée, une vision élargie du métier, ainsi que l’acquisition de compétences et de connaissances favorisant des pratiques durables et une prise de risque éclairée.
- La diversité des compétences acquises constitue un atout majeur. Beaucoup de vigneronnes, ayant préalablement évolué dans d’autres domaines, développent des compétences clés telles que l’organisation et la gestion, le marketing, la planification financière, le leadership, la capacité à se renseigner, ainsi que des aptitudes à développer un réseau. Ces compétences enrichissent leur palette de compétences professionnelles, renforçant ainsi la viabilité de leurs exploitations viticoles. C’est le cas de Laura Paccot du domaine La Colombe en Suisse par exemple, qui reprend un domaine familial alors que l’École Hôtelière très réputée dont elle est diplômée ne la destinait pas à un travail sur le terrain. Selon elle, ces études lui ont permis d’une part d’être sûre de son choix et d’avoir la confiance de son entourage, qui était assuré qu’elle ait de potentielles “voies de secours” . Le fait de maîtriser ces compétences de gestion essentielles lui permet d’avoir plus de temps et d’énergie pour apprendre le travail subtil de la vigne sur le terrain : “tu peux apprendre tout sur la vigne sur papier mais tu peux pas apprendre en vrai sans l’avoir fait, plus de finesse” . Toujours en Suisse, Mathilde Roux de La Cave de l’Orlaya insiste “c’est un univers qui demande tellement de se remettre en question sur plein de points, vente, vigne, marketing, administratif” . Ou enfin Matilde Poggi en Italie, “l’étude de l’économie vous aide à tout faire. Notre monde est régi par l’économie. Pour gérer une entreprise, c’est indispensable. Le budget, l’argent, tout, c’est utile dans chaque travail que vous faites” . Pour Zeynep, qui a quitté son travail dans la publicité pour créer Arcadia en Turquie par exemple, son expérience professionnelle lui a permis d’être capable d’apprendre beaucoup de choses en très peu de temps et les compétences organisationnelles acquises dans ce cadre sont très utiles. Ou enfin Maria de Ferratus qui nous explique que sa formation d’avocate lui a donné “la facilité de savoir comment ordonner et établir des priorités” ,et Christine Vernay lorsqu’elle évoque la conversion en agriculture biologique du domaine montre une méthode de management particulière, peut-être héritée de sa pédagogie de professeure “j’ai décidé d’arrêter le désherbant chimique et là les ouvriers étaient paniqués : ils avaient peur de ne pas réussir, de perdre la récolte et pensaient « elle se rend pas compte » . J’ai senti ce désarroi, j’étais convaincue. On ne peut pas aller dans la confrontation, je suis obligée d’emmener, de convaincre mon équipe. J’ai réfléchi et je leur ai dit « on l’achète, il est là, on ne l’utilise pas, si on en a besoin on l’a » . Finalement, on n’en a pas eu besoin. C’est une grande fierté pour tout le monde” .
- La vision globale et l’adaptabilité émergent comme des éléments cruciaux. La diversité des expériences professionnelles permet aux vigneronnes de comprendre l’impact global de leurs actions, les dotant de ressources plus générales pour innover et penser au-delà des conventions établies (“think outside of the box”). Pour Zeynep, retourner à “l’école” à plus de 30 ans, en ayant déjà une certaine maturité et un sens affirmé de ses convictions et de qui elle était, a beaucoup influencé la façon dont elle a appris. Enfin, le cas de Bilge, vigneronne turque, est aussi très intéressant. Elle a vécu aux Etats-Unis en tant qu’architecte et a découvert la philosophie de la Slow Food avec des marchés de produits frais qui apparaissent partout : “Je crois à la théorie selon laquelle tout ce que vous mangez a des implications économiques et théoriques. Il y a beaucoup de choses à prendre en compte” . Elle a ensuite décidé d’appliquer ces principes à son vignoble.
- Par ailleurs, il est à noter l’étonnante proportion de femmes devenues vigneronnes disposant d’une formation en biologie, notamment en Espagne. Cette voie se révèle être très complémentaire à la viticulture. Les connaissances en agroforesterie et une certaine vision de la “médecine de la plante” enrichissent les pratiques agricoles, favorisant ainsi des approches plus durables et respectueuses de l’environnement. Monica nous raconte : “Et être vétérinaire est très important quand j’ai décidé de commencer à travailler en bio. Parce que les premières vendanges c’était en 2007, mais la première année où j’ai suivi les vignes c’était en 2008. Et le printemps c’était avec beaucoup de pluie, alors c’était mon œnologue, qui me disait “alors tu dois donner, c’est comme donner des médicaments, tu as une cuve qui … je sais pas comment s’appelle… tu vas arroser, voilà, tu vas arroser les plantes avec des médicaments. Et il me disait toujours, va donner ça, va donner ça, va donner ça, et après je dis mais qu’est-ce que je vais donner, arroser, sur mes plantes, et après moi je bois mon vin ? Et mes enfants ils vont grandir ici. Et quand j’ai lu ce que je donnais aux plantes, ahhh. Je dis mais non, je vais donner des poisons partout. Je vais tuer tout ce qu’il y a de vie ici dedans. Et j’ai décidé de travailler en bio. Pour ça c’était important d’être docteur” . On a d’ailleurs vu dans le deuxième article que les vigneronnes avaient tendance à se sentir plus éloignées de la technique. Or dans “Genre et rapport au vivant dans l’agriculture française” (2014) Hélène Guétat-Bernard et Carine Pionetti décrivent précisément comment cet éloignement des aspects techniques rapproche les femmes du vivant, soulignant ainsi leur connexion particulière avec cet aspect essentiel de leur métier et en lien avec l’engagement écologique.
- Enfin, la disponibilité de ressources financières issues de ces parcours diversifiés offre aux femmes vigneronnes une plus grande liberté d’action. Ces ressources agissent comme un filet de secours lors de prises de risque, réduisant ainsi la pression financière et encourageant l’innovation dans le secteur viticole.

Le cas de Christine Vernay, du domaine éponyme à Condrieu montre particulièrement comment un parcours influence une vision du métier. Passionnée par l’art, la littérature, ancienne professeur d’italien, elle “continue à vivre dans un monde d’art. L’art c’est du ressenti, de la sensibilité, de l’émotion. Une vie sans art c’est une vie sans âme. Que ce soit dans les images avec ces couleurs magnifiques dans les cuves pendant les décuvages. Souvent des flashs de ces tableaux que j’adore : de la nature avec la lumière des impressionnistes, de Cézanne… Il y a de la musique aussi. Quand j’écoute mes vins fermenter, chaque barrique ne chante pas de la même façon. On est un tout. On poursuit ce qu’on est à travers ce qu’on fait” . Cette sensibilité à l’art revient extrêmement souvent chez les vigneronnes rencontrées.
Pour Elizabet “ I can dance with the wine, sing to the wine” . Maria de Bratanov dont les parents étaient musiciens d’opéra raconte “je me suis rendue compte que faire du vin c’est vraiment un art. C’est tout ce que j’ai voulu faire dans toute ma vie. Appliquer mon français pour quelque chose lié à l’art. créer un produit vivant. C’est vivant le vin. Il a ses étapes comme un homme. La naissance, la jeunesse, le vieillissement. L’art de gérer tout ça, de le pousser à montrer les meilleurs côtés de son caractère” . Pour Krizstina : “Pendant la période de mise en bouteille, je dois vraiment écouter la musique qui accompagne le vin. Dans la cave, pas de musique, je pense que parler à mes vins est suffisant. Parfois, lors de la mise en bouteille, de la musique pop ou hard rock. Parler avec mon mari, parce que c’est un expert, c’est un vrai shazam. Il choisit parfois des vinyles, anciens, parfois des musiques très récentes” . Selon Marie-Laure “ il y a un côté je trouve, qui est artistique, qui m’intéresse beaucoup là-dedans” . Enfin Bilge “J’ai dit que l’architecture est un mariage de techniques, de science et d’art. La capacité technique, la créativité et le matériau. Il faut très bien connaître son matériau. Pour le métier de vigneron, le matériau est le raisin, la technique est la technique de vinification et la créativité est votre travail. Le vigneron apporte sa contribution comme l’architecte ” .
Pour autant, certaines vigneronnes n’ont pas eu de parcours “annexe”, elles ont suivi une formation dédiée à la viticulture, elles évoluent dans ce secteur depuis toujours, et elles sont profondément engagées dans la transition environnementale. Parallèlement, d’autres ont embrassé la viticulture par passion plus tardivement, ne disposant pas nécessairement d’une formation spécifique et ont peu de conscience écologique.
La liberté du choix de métier comme facteur d’émancipation vertueuse de la tradition
On ne naît pas vigneronne, on le devient
Les vigneronnes interviewées ont rarement subi une pression pour devenir vigneronnes, pour des raisons historiques et culturelles présentées dans le deuxième article, contrairement aux hommes, notamment au sein des familles possédant un domaine. À l’inverse, elles peuvent même avoir l’impression d’être écartées de la reprise.
Sur le terrain, on observe des parcours variés : celles qui ont découvert cette passion sur le tard sans aucun lien familial, celles qui ont récupéré un héritage familial mais de manière inattendue, celles qui ont perdu leurs terres une ou deux générations avant, ou même celle qui ont repris de manière plus classique – toutes ont eu le choix de faire ce métier et n’étaient jamais prédestinées.
Ainsi, s’engager dans cette voie représente un choix fort qui doit être réfléchi et assumé face aux critiques et peut représenter un parcours du combattant. Toutefois, une fois ce choix assumé, elles trouvent la force d’assumer d’autres décisions plus aisément.
Avoir l’opportunité de choisir son métier, de vigneronne en l’occurrence, offre davantage de liberté, notamment en ce qui concerne la rupture à la tradition, l’innovation (managériale, technique, commerciale) et le choix des pratiques (notre sujet ici, plus respectueuses de l’environnement). Devoir assumer leurs choix, être là où on ne les attend pas, nécessite également une préparation, une réflexion plus profonde et un engagement sérieux qui a donc tendance à inclure les dimensions écologiques et sociales.
Le passage en bio, ou l’adoption d’autres pratiques considérées comme « durables », peuvent souvent être perçues comme une prise de risque et nécessitent surtout à la fois une prise de conscience mais aussi un intérêt et des recherches sur le sujet. Le choix délibéré de devenir vigneronne est souvent lié à la volonté de se rapprocher de la terre, de la passion du produit et s’accompagne de la liberté de bouger les lignes et passer plus radicalement à l’action sans subir le poids de la tradition.
Au contraire, les hommes, l’aîné particulièrement, ressentent encore souvent la pression de devoir continuer le travail des générations passées et doivent répondre aux attentes de chacun. Ils s’inscrivent dans une continuité familiale, et il faut beaucoup de courage pour oser changer ce qui a été mis en place par leur père ou grand-père. En outre, tout étant “dû” depuis toujours, ils font souvent preuve de moins de curiosité et d’investigation et ainsi une prise de conscience moins forte et moins d’initiatives sont observées.
En effet, certaines vigneronnes rencontrées ont déclaré se sentir plus libres dans leurs choix que leurs homologues masculins. Ainsi Christine, vigneronne et propriétaire d’un vignoble prestigieux en France, explique comment le facteur culturel peut impacter différemment les hommes et les femmes dans un domaine familial : “Alors j’ai un parcours qu’on qualifie d’un petit peu atypique parce que bien qu’étant « fille de » puisque j’ai repris derrière mon père, et comme étant fille, sur moi rien ne reposait. C’est à dire que dans le monde viticole ou agricole, les filles, je ne vais pas dire “comptent pour du beurre”, mais on ne pense pas la reprise à travers des filles, et les filles n’y pensent pas non plus. Mais moi j’ai eu cette liberté de faire ce que je voulais, de ne pas être prise dans cet héritage” . Dans une autre conversation, notamment en évoquant sa transition biologique où elle a dû faire face à des résistance, elle insiste sur le fait qu’ “il n’est pas toujours facile, quand on se lance dans un projet, de rester curieux, aller voir ailleurs, être innovateur mais il est essentiel selon de savoir rester soi, y croire, ne pas vendre son âme au diable” .

De la même manière, Marie-Thérèse Chappaz défend l’importance de rester fidèle à ses convictions, lorsqu’on lui demande si elle se rend compte qu’elle est une icône de la viticulture biodynamique non seulement en Suisse mais dans le monde, elle répond “je n’ai jamais tellement cherché ça, c’est venu comme ça, peut être parce que je suis restée fidèle à ce que je crois, ce que je veux” .
Olus Molu, en Turquie, un pays où on compte 40% de femmes vigneronnes explique cette grande proportion en affirmant que “les femmes sont plus courageuses” . En Bulgarie, Elizabet explique qu’elle pense “que la liberté me rend heureuse. Et… j’ai la possibilité de faire ce que je veux ici. Et j’expérimente chaque année, j’ai tellement d’expériences, et… je me sens humaine, je me sens courageuse parce que j’ai mis sur le marché certaines choses que personne n’avait faites auparavant, et c’est peut-être la chose la plus importante pour moi ; vous avez la liberté de faire ce que vous voulez. Cela peut être très difficile, mais vous l’avez” . En outre selon elle, les femmes “suivent plus leur intuition” , là où les hommes vont faire en sorte “que leurs vins soient en parfait état, en parfaite forme, répondant à toutes les exigences d’un vin” . Cette notion de liberté d’expérimentations intervient souvent, notamment chez Krizstina en Hongrie, quand elle parle des vignerons autour d’elle à Mór “Ils ont beaucoup de traditions, ils ne peuvent pas être aussi ouverts d’esprit. Je tente des expériences, mais ils ne le font pas. Chaque année, on peut faire quelque chose de nouveau” .
L’accès des femmes à des postes décisionnels dans les domaines étant relativement récent, plusieurs témoignages recueillis pendant l’enquête de terrain évoquent de la même manière un certain détachement par rapport à la tradition, un poids moins lourd à porter que si ces vigneronnes avaient été des hommes. À l’inverse, elles évoquent presque systématiquement des évènements sexistes qu’elles ont subi en tant que vigneronnes dans un système essentiellement masculin. Mais ces observations de terrain n’ont pas été confirmées par l’enquête quantitative qui n’intégrait pas ces questions.
L’adoption de pratiques durables justifiées par “l’éthique du care”
La place prépondérante du soin dans l’éducation des femmes influence
leur rapport au vivant et à l’avenir
On observe que la maternité selon les vigneronnes est souvent un élément déclencheur de l’adoption de pratiques durables et de radicalisation de leur engagement pour le respect de l’environnement. On observe d’une part, une conscience de l’impact de leur activité sur la santé de leur famille et d’autre part, l’intégration d’une perspective de durabilité, c’est-à-dire la volonté de permettre aux générations futures d’avoir les mêmes opportunités.
De manière plus large, il est courant que les vigneronnes mettent en perspective les injonctions liées à leur genre : s’occuper de leur famille (mari et enfants) et prendre soin du foyer en général (cuisine, ménage), entretenir les bonnes relations avec le voisinage avec leur recherche de sécurité globale. Lorsqu’elles font part d’une action qu’elles ont mise en place en lien avec leur stratégie environnementale, les vigneronnes ont tendance à d’abord évoquer leurs motivations (inquiétude pour le futur, volonté de rendre leurs pratiques plus durables etc…) et à insister sur leur cheminement personnel, en mettant leur choix en lien avec des étapes de leur vie. C’est le cas de Krizstina ou de Birgit dont la conversion en biodynamie est devenue primordiale lors de leur grossesse ou encore Monica la vétérinaire citée plus haut. Il était inenvisageable de compromettre la santé de leurs enfants.
D’un point de vue plus large, Judit ou Laura parlent également de cette volonté de prendre soin de la terre pour la laisser dans un bon état pour les générations futures. Laura mentionne que la naissance de sa fille a chamboulé son rapport au monde “avant c’était facile d’être plus insouciant plus spontané, maintenant on s’inquiète pour elle, pour le futur qu’il y ait des guerres à cause de l’eau, des réchauffements, ça vaut la peine de faire quelque chose” . Le lien avec le soin est souvent facile à percevoir quand on parle avec les vigneronnes. Marie-Thérèse Chappaz par exemple a failli être sage-femme : “J’ai eu beaucoup de doutes. J’ai essayé les deux et pour finir j’ai choisi la vigne : être libre, ma propre cheffe, dehors. J’aime m’occuper des gens, aider les femmes, mais j’aurais pas eu assez confiance en moi, c’est difficile” . Enfin, le nombre de vigneronnes qui font le parallèle entre les enfants et les millésimes est impressionnant. Le champ lexical du bébé et du soin est extrêmement courant, comme par exemple Elizabet qui nous dit : “Mes vins sont comme mes bébés. Pour certains d’entre eux, je les fais vieillir pendant 4 ans dans le chai. Imaginez que j’ai maintenant 4 enfants ici. Vous en prenez soin, pas tous les jours, mais presque. Cela prend tellement de temps, vous donnez tellement d’attention et de soins. Je ne peux vraiment pas comparer. Et le vin est vivant. Il faut le garder en vie et en bon état” .

Lorsque Nazan parle de son métier, elle évoque directement ses employés et explique qu’une grande partie de son travail est en fait de prendre soin d’eux, cela fait partie de la production du vin : “En réalité, nous ne sommes que 5 personnes à travailler. Mais des travailleurs à temps partiel viennent chaque jour, pour l’élagage, le groupe de récolte. Ils sont amusants, différents. Parfois, ils chantent, se disputent ou font la course, et nous connaissons ces personnes depuis 10 ans, la plupart d’entre elles sont là chaque année, au moins deux semaines de plus. Je connais leurs enfants, leurs problèmes, ils les partagent, et si je peux les aider, j’essaie. Ils m’invitent à leurs fêtes et à leurs mariages, et j’essaie d’y assister et d’en faire le plus possible” .
Tout comme Sara pour qui le social doit avoir une place de choix dans les critères de production : “Prendre soin de l’environnement, prendre soin des aspects sociaux et émotionnels de toute l’équipe. J’ai appris au fil des ans qu’en raison de la société dans laquelle nous vivons, en raison de ce système patriarcal de la bourgeoisie occidentale, il est très difficile de ne pas donner plus d’importance à l’économie qu’au reste et normalement, avec les choses ou la justification de l’économie, ils vont au détriment du social, du soin des gens, de leur liberté, et aussi de l’environnement” .
L“éthique du care” peut permettre d’expliquer le rapport à la nature et à l’environnement spécifique des vigneronnes qui le placent au cœur de leur démarche. Cette philosophie, d’abord théorisée par l’américaine Carol Gilligan (1982) et qui peut se définir comme la “capacité à se soucier, à éprouver de la sympathie, de la compréhension et de la sensibilité à la situation et au destin de certains êtres particuliers, et à se porter responsables pour d’autres » (Plumwood, 1991). Ainsi, d’une part les femmes sont soucieuses de la sécurité de ceux qu’elles aiment et la volonté de les voir en bonne santé, exacerbées par la maternité, les poussent à s’intéresser à l’environnement et à adopter des pratiques plus respectueuses et leur laisser un meilleur avenir. D’autre part, la théoricienne féministe Joan Tronto (1993) a été pionnière dans la proposition d’extension du care au vivant (animal et végétal), à la nature et qui pourrait également expliquer le soucis de prendre soin de l’environnement davantage marqué chez les vigneronnes rencontrées.
Partage, collaboration et engagement collectif chez les vigneronnes : une émulation positive en faveur de l’environnement
L’appartenance à un (ou plusieurs) collectif(s)
facilite l’échange, le partage et la solidarité
On observe un grand nombre de regroupements de vigneronnes comme évoqué en introduction et celles-ci sont majoritairement engagées dans la viticulture bio. Il y a donc une notion de solidarité forte entre femmes ainsi qu’un engagement pour le collectif qui transparaît également dans l’augmentation de leur place dans les postes à responsabilité dans les interprofessions. Ces femmes sont souvent très actives sur les réseaux sociaux et elles accordent une grande confiance dans les informations qu’elles y puisent pour le développement de leur activité.
La sororité qui transparaît par le partage de connaissance et l’entraide en viticulture crée un environnement propice à la prise de conscience collective des enjeux environnementaux et à la mobilisation pour y faire face. En effet, le sexisme n’encourage pas les femmes à avoir confiance en elles. Par manque de légitimité, elles ont plus tendance à se rassembler, poser des questions, partager leur expérience. Ainsi les vigneronnes découvrent de nouvelles pratiques, font des expérimentations, s’améliorent grâce aux retours et conseils de cette communauté d’entraide. La pression sociale « positive » crée également une émulation dans le sens du durable.
En outre, la coopération permet de prendre en charge la responsabilité environnementale de manière collective et une manière de concevoir son activité comme une participation à une cause plus vaste. Cela implique un changement de perspective, mettant l’accent sur le bien-être collectif de la planète plutôt que sur des intérêts individuels à court terme. Ensuite, lorsque de nombreuses personnes collaborent, les effets positifs peuvent être multipliés. Les petits gestes individuels peuvent s’additionner pour créer un impact significatif à l’échelle collective, ce qui est crucial pour résoudre des problèmes environnementaux complexes. La coopération encourage l’échange d’idées et la créativité collective, favorisant ainsi l’innovation. En travaillant ensemble, les individus peuvent trouver des solutions nouvelles et plus efficaces pour relever les défis environnementaux.

Il est difficilement envisageable d’imaginer et d’encourager un groupe uniquement masculin à l’heure actuelle. De même, on peut se demander si les vignerons et hommes très actifs sur les réseaux sociaux bénéficient de la même émulation positive et sont plus vertueux. Enfin, si on observe beaucoup de batailles d’égo entre vignerons depuis toujours, notamment dans les grands regroupements d’appellations, les rivalités féminines peuvent aussi exister. Même si elles ont peu été observées sur le terrain.
A l’instar des chiffres évoqués dans le premier article, la grande majorité des femmes que nous avons rencontrées étaient investies dans des associations, particulièrement des associations féminines comme les 11 Women & Their Wines en Autriche qui a été fondée en 2001. Matilde Poggi est Présidente de la FIVI, l’association des vignerons indépendants locaux. Pour elle “il est très important de faire du lobbying, car les vignerons indépendants sont trop petits pour être entendus, notamment les femmes. Il est important de s’engager pour changer les règles. De nombreux viticulteurs apprécient la possibilité de rejoindre la FIVI et de se battre pour quelque chose d’important pour nous. Je ne pense pas être une source d’inspiration, mais si cela se produit, j’en serai très heureuse” .
Comme expliqué plus haut, ayant souvent eu d’autres carrières par le passé, elles peuvent aussi être impliquées dans des associations féminines qui ne sont pas reliées à leur métier de vigneronnes, notamment par le fait qu’elles aient une carrière différente avant comme expliqué plus haut. Olus est par exemple présidente des Femmes CEOs de Turquie comme nous le mentionne fièrement sa fille. Bilge est Présidente de l’association Slow Food en Turquie et tente de promouvoir les coutumes gastronomiques locales. Cette promotion du local et de la communauté qui découle dans le cas de Bilge de la “slow food” se retrouve dans beaucoup de discours de vigneronnes, comme Judit pour qui son métier “est davantage question de personnes, de la communauté. Comment le vin peut contribuer à la qualité de la région, peut sauvegarder la culture, l’histoire. Ne pensez pas seulement aux 10 prochaines années, mais aux 100 prochaines années” . Pour n’en citer qu’une autre, en Slovénie, Katja, membre de l’association Women & Wine of Slovenia, mentionne aussi la notion de communauté “On est toujours impliqués dans le vin par des relations amicales. La communauté a poussé cette région à faire plus de promotion. Le fait d’être des femmes apporte une énergie, cela nous rend beaucoup plus connectées. Nous utilisons cette amitié pour être plus présents. Finalement, on se réunit juste, cela permet de se faire une option, partager des idées différentes, rêver. Mais tu sais, peut-être que les rêves peuvent devenir réalité” .
Un niveau de confiance différencié dans les sources d’information
qui témoigne de cet essor de la sororité et recherche de légitimité
À l’instar des freins à la mise en place d’actions et de projets dans leur exploitation, les vignerons et les vigneronnes ont en moyenne classé leur niveau de confiance dans différentes sources d’information dans le même ordre. De la plus importante à la moins importante, ils ont classé : l’expérience personnelle, les échanges avec d’autres vignerons, les consultants, les salons et congrès du vin, les interprofessions et organisations publiques, les médias et enfin les réseaux sociaux. Mais la manière d’évaluer chacune de ces sources diffère à nouveau selon le genre.
De manière significative, les vigneronnes disent avoir plus confiance dans les réseaux sociaux comme source d’information que les hommes. Cette différence notable peut d’abord s’expliquer par l’usage plus important en général des réseaux sociaux par les femmes que les hommes (Kimbrough, 2013). Dans le cas de la viticulture en particulier, un autre phénomène pourrait expliquer la confiance plus importante des femmes dans les informations obtenues sur les réseaux sociaux : l’émergence de groupes – sur Facebook notamment – exclusivement féminins dans leurs différentes régions viticoles. De nombreuses vigneronnes nous ont spontanément fait part de l’existence de tels groupes dédiés à l’entraide entre vigneronnes, et apparus simultanément avec la démocratisation et la relative médiatisation de vigneronnes. On peut citer par exemple Femmes de Champagne, 11 femmes du vin, etc. Ces groupes sur les réseaux sociaux ont comme objectifs premiers l’empowerment des vigneronnes, puisqu’ils leur permettent d’échanger sur leurs expériences personnelles et confirment leur légitimité à assurer ce métier en tant que femme. Ils permettent en effet la mise en relation de vigneronnes qui ne sont pas nécessairement situées dans la même zone géographique, et donc la mise en place d’une certaine forme de solidarité entre des femmes pouvant avoir traversé des difficultés comparables. Les réseaux sociaux, et en particulier ces groupes féminins, peuvent avoir une autre fonction : l’échange sur les pratiques viticoles, le partage d’innovations et de conseils. Ils peuvent apporter un regard nouveau, des idées, voire faire naître des volontés de changements de modes de production en voyant que d’autres y sont parvenus. Ils pourraient donc contribuer à expliquer la sensibilité plus élevée des vigneronnes face aux enjeux environnementaux.

Fig. 1 : Répartition des vigneronnes et vignerons selon la confiance accordée
dans les réseaux sociaux (p-value = 0.008345)
Les vigneronnes disent accorder plus de confiance dans les informations obtenues dans les salons et congrès du vin que les vignerons, comme on l’observe à la figure 2. Elles sont plus réceptives aux échanges avec d’autres professionnels du monde viticole.
Les pistes d’explication de cette différence peuvent être les mêmes que pour la question sur la perception des freins techniques. En effet, la confiance moins forte que les hommes en leurs compétences techniques peut expliquer la plus grande écoute apportée aux témoignages de leurs homologues ou d’autres professionnels lors des salons. On peut noter que lors des entretiens de terrain, l’évocation des salons viticoles a souvent conduit les vigneronnes à partager des expériences de sexisme qu’elles ont pu traverser lors de ces rencontres professionnelles. Le plus fréquemment, elles ont dû faire face à une non-reconnaissance de leur métier de la part de personnes venant visiter leur stand, insistant pour rencontrer le vigneron ou le propriétaire du domaine malgré le fait qu’elles se soient présentées en tant que vigneronnes. Cela ne semble cependant pas impacter la confiance qu’elles accordent dans les informations obtenues lors de ces évènements.

Fig. 2 : Répartition des vigneronnes et vignerons selon la confiance accordée
dans les salons et congrès viticoles (p-value = 0.06033)
Malgré ces observations et les impressions de terrain, on observe pas de différence significative dans la confiance apportée à l’expérience personnelle entre les vignerons et les vigneronnes. Ce qu’on constate malgré tout c’est que les évaluations moyennes des hommes sont plus faibles que celles des femmes, et de manière significative pour les réseaux sociaux et les salons, à l’exception de l’expérience personnelle. C’est la seule source d’information à laquelle les vignerons accordent en moyenne plus de confiance que les vigneronnes. La p-value associée à la répartition ne permet néanmoins pas de conclure.
Leviers d’action pour accélérer la transition
L’analyse des trajectoires de vie de ces vigneronnes indiquent des démarches globales qui peuvent être encouragées dans les parcours afin d’encourager une transition dans la société.
1. Un besoin d’opérer un changement de paradigme sur la place du vivant dans la société
- Revaloriser et répartir le travail du “care”
En promouvant une plus grande équité dans la répartition des tâches domestiques et familiales, comme le ménage, la cuisine et la garde des enfants peut permettre de sensibiliser le plus grand nombre au soin, qui comme observé plus haut se traduit par des actions plus respectueuses de l’environnement. Ainsi, intégrer des programmes éducatifs dès le plus jeune âge pour encourager l’égalité des genres dans toutes les sphères de la vie, y compris le travail du “care” peut aider à briser les stéréotypes de genre liés aux rôles domestiques.
- Encourager l’intégration du vivant dans les formation pour contrebalancer les apprentissages techniques
Comme on l’a vu également dans le troisième article, promouvoir des programmes éducatifs axés sur la compréhension de l’environnement et du vivant dans son ensemble, peut permettre d’encourager les pratiques respectueuses de l’environnement.
- Mener et enseigner une réflexion approfondie sur les liens complexes qu’entretiennent l’environnement et notre santé
Comme on peut le voir avec les scandales environnementaux liés à la pollution, par exemple celui des polluants éternels (PFAS) qui a mené à une proposition de loi en avril 2024, la compréhension et la communication sur les impacts des pratiques sur la santé humaine sont essentielles dans une société démocratique. Ainsi, soutenir la recherche interdisciplinaire qui étudie les interactions entre l’environnement et la santé, notamment dans des domaines tels que l’éco-médecine ou la médecine environnementale est important. De même, l’élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques visant à protéger l’environnement et à promouvoir la santé, en s’appuyant sur les dernières recherches pour guider les décisions en matière de santé et d’environnement est à encourager.
2. Encourager la curiosité et la compréhension de la place du métier dans une société globalisée
- Intégrer une vision plus globale des enjeux dans les formations viti-oeno
En adoptant cette perspective, les programmes de formation pourraient englober non seulement les aspects techniques de la viticulture et de l’œnologie, mais également des domaines tels que le commerce, l’histoire, et d’autres dimensions interconnectées. Cette approche élargie favoriserait une compréhension plus complète du métier, encourageant ainsi la mise en œuvre de pratiques durables et la prise de conscience des enjeux environnementaux. Il est à noter que la France est un bon élève en la matière avec des formations très complètes en comparaison d’autres pays distinguant l’œnologie et la culture agricole.
- Au sein des familles de vignerons, favoriser les expériences extérieures de celui ou celle qui reprend
Les expériences recommandées pour diversifier les trajectoires peuvent provenir de secteurs variés ou simplement d’autres vignobles, contribuant ainsi à une vision plus complète du métier et à une meilleure préparation à la transition écologique. Il est à noter que la découverte des méthodes de production dans un pays étranger est souvent encouragée dans la formation mais dépend également des contraintes financières du vignoble.
- Encourager la mobilisation et l’engagement collectif.
On a observé à quel point l’intégration des vigneronnes dans leur écosystème : avec leurs ouvriers, dans une communauté, une région et sa culture, avait un impact sur ses choix et finalement des pratiques plus respectueuses. Ainsi, même si plusieurs initiatives vont dans ce sens, on peut penser à créer des groupes de travail réunissant des acteurs de divers horizons (vignerons, chercheurs, représentants gouvernementaux) pour élaborer des stratégies communes en matière de durabilité et d’innovation. De même, il faut encourager l’adhésion à des associations professionnelles qui œuvrent pour la défense des intérêts du secteur et la promotion de pratiques respectueuses de l’environnement. Ces associations peuvent également fournir des plateformes pour organiser des campagnes de sensibilisation. Finalement, favoriser l’adhésion à des mouvements de transition écologique au sein de la filière viticole, tels que des certifications et des labels de qualité liés aux pratiques durables peut être mentionné, comme on peut l’observer avec l’émulation des associations de vigneronnes.

3. Permettre de faire des choix et de les assumer
- Remettre en question la tradition et favoriser le choix
On a observé à quel point la reprise d’exploitation se faisait par la tradition. Si les valeurs familiales empêchent souvent la remise en question des pratiques culturelles au sein d’un vignoble, le poids de la société est aussi lourd, notamment en France avec la hiérarchie des régions et des vignobles qui détermine notamment une certaine stratégie marketing. Toutefois, il serait louable de questionner ces pratiques afin d’en conserver les atouts et de réinventer celles qui portent préjudice à l’avenir du métier. Ainsi une meilleure communication entre les différents acteurs est louable afin de concevoir ensemble une image plus accessible qui permettrait l’apparition de nouvelles méthodes choisies et assumées.
- Faciliter, encourager, promouvoir la reprise d’exploitation
Aujourd’hui, il semblerait que pour accéder au métier, il faut venir d’un domaine familial, autrement, le chemin est long et difficile pour ceux qui ont “seulement” la vocation. Ainsi, un soutien financier, complémentaire aux subventions du ministère de l’agriculture pour les jeunes exploitants peut être envisagé et pourrait suivre d’un accompagnement plus personnalisé. Cela peut inclure des conseils en gestion, en marketing ou autres compétences annexes comme exploré dans l’article.
- Encourager le partage de connaissances et la coopération
On se rend compte que la collaboration et la solidarité renforce la confiance en soi, la légitimité, le pouvoir d’action. Ainsi, favoriser des réseaux d’entraide régionaux ou nationaux permet la collaboration et le partage de ressources. Ces réseaux peuvent offrir des opportunités de mentorat et de soutien entre pairs.
Conclusion
Les quatre caractéristiques des trajectoires étudiées : la formation, le choix et la passion, l’éthique du care, le sens du partage et de la collaboration, sont donc elles mêmes associées à des leviers d’action pour la société : encourager une meilleure compréhension de nos interactions, notamment en remettant le vivant au centre et en favorisant la curiosité et une vision globale ainsi qu’en permettant le choix, l’autonomie et la liberté.
Pour déterminer ses capacités, le métier de vigneron doit être appréhendé dans sa globalité : la production de vin de la grappe au verre bien sûr mais aussi selon toutes les casquettes, le travail de la terre, la vinification, l’administratif ou encore les tâches commerciales. Cette philosophie conduit à intégrer l’interaction entre tous les éléments : population et santé humaine, biodiversité, terres, sol, eau, air et climat, biens matériels, patrimoine culturel et paysage. Cette vue d’ensemble n’est pourtant, et ne doit pas être, incompatible avec une volonté d’approfondissement, d’apprentissage continu et de remise en question.
Il semblerait que la liberté de choisir, de faire un métier de passion et non pas de subir le poids de la tradition, permet de faire preuve d’adaptabilité et de résilience en puisant la force de faire face aux aléas de plus en plus fréquents. On se rapproche ici de la définition de Jean-Paul Sartre ici, “La Liberté, ce n’est pas de pouvoir ce que l’on veut, mais de vouloir ce que l’on peut” .
Enfin, le leadership fondé sur une attitude combative semble également associé à la durabilité d’un vignoble. Ce combat est associé à une certaine croyance, une foi, pas toujours rationnelle, qui accompagne ce milieu culturel fort et son imaginaire – et qui peut découler de la liberté d’avoir choisi. Cette foi s’entretient et s’enrichit du partage des expériences, loin d’une attitude individualiste du “chacun pour soi” .
Lorsqu’on s’intéresse au féminisme en politique, on peut avoir l’impression que la meilleure stratégie est de faire en sorte que les femmes puissent avoir les mêmes trajectoires que les hommes. Et si on encourageait les hommes à s’inspirer des trajectoires des femmes ?
On s’intéresse ici à la viticulture, un secteur privilégié pour se questionner sur l’écologie et le féminisme, mais ces leviers d’action peuvent être adaptés dans tous les domaines plus masculins en général : l’agriculture, la tech, l’ingénierie… afin d’œuvrer pour la transition écologique et sociale.
Elisabeth Auzias
Ingénieure généraliste
Zoé Henninger
Cinéaste
Sophie Lei
Ingénieure de recherche en agronomie
Manon Vichot
Ingénieure agronome
Pour citer cette publication : Elisabeth Auzias, Zoé Henninger, Sophie Lei, Manon Vichot, Eco-féminisme et viticulture : une explication par les parcours, AgriGenre, janvier 2025.
Source en ligne : https://agrigenre.hypotheses.org/23055
DOI : https://doi.org/10.58079/1303l
Bibliographie
Gilligan Carol, Une voix différente : la morale a-t-elle un sexe ?, Flammarion, 1982.
Guétat-Bernard Hélène et Pionetti, Carine, Genre et rapport au vivant dans l’agriculture française, Pour, n° 222, vol. 2, 2014.
Kimbrough Amanda, Guadagno E. Rosana, Muscanell L. Nicole, & Dill, Janeann, Gender differences in mediated communication: Women connect more than do men, Computers in Human Behavior, n° 29, vol. 3, 2013.
Plumwood, Val, Nature, self, and gender : feminism, environmental philosophy, and the critique of rationalism, Hypatia, 6, 1991.
Tronto Joan, Un monde vulnérable. Pour une politique du care, La Découverte, 1993.
Liste des vigneronnes citées
- Laura Paccot – Domaine de la Colombe – Féchy – Suisse
- Mathilde Roux – Cave de l’Orlaya – Fully, Valais – Suisse
- Matilde Poggi – Le Fraghe – Verona – Italie
- Zeynep Arca – Arcadia – Turquie
- Maria Luisa Cuevas – Ferratus – Ribera del Duero – Espagne
- Bilge Ögünlü – Urlice Vineyards – Urla – Turquie
- Monica Raspi – Pomona – Italie
- Christine Vernay – Domaine Georges Vernay – Condrieu – France
- Krisztina Cstevei – Csetvei Pincészet – Mór – Hongrie
- Marie-Laure Lurton – Château Tour de Bessan – Bordeaux – France
- Elizabet Poteva – Bendida – Brestovitsa – Bulgaria
- Birgit Wiederstein – Winzerin Wiederstein – Austria
- Oluş Molu – Vinolus – Anatolie Centrale – Turquie
- Judit Bodo – Bott Pince – Hongrie
- Sara Perez – Mas Martinet – Priorat – Espagne
- Marie-Thérèse Chappaz – Fully, Valais – Suisse
- Katja Kabaj – Kabaj Estate – Dobrovo – Slovénie
Echos
¤ Centre d’études et de prospective du Ministère de l’Agriculture, février 2025
¤ Centre International de Hautes Etudes Agronomiques Méditerranéennes, février 2025
¤ Inrae, février 2025
¤ International Association on Work in Agriculture, février 2025