Le vin se distingue comme l’un des produits les plus influents à l’échelle internationale dans le paysage des échanges agroalimentaires mondiaux, avec des implications significatives pour les paysages à différentes échelles (Dollfuss, 1970 ; Landini, 1999 ; Sommers, 2008 ; Dougherty, 2012). De la production, qui s’inscrit dans une compétition néolibérale au sein des systèmes agricoles, aux évolutions des rôles des travailleurs dans l’industrie (Desmarais, 2007), en passant par les implications stratégiques liées à la localisation de la production et aux stratégies marketing, l’industrie viticole reflète une interconnexion complexe entre facteurs socio-économiques et environnementaux. Parmi ces enjeux figurent des défis tels que l’accès inégal à la terre, la précarité du travail et les écarts économiques, souvent exacerbés par des préjugés liés aux disparités de genre (Shortall et al., 2017 ; Shortall et al., 2021 ; Dunne et al., 2021 ; Sachs et al., 2021 ; Shortall & Marangudakis, 2022). Ce constat est particulièrement pertinent dans le secteur viticole, où, traditionnellement, dans de nombreuses régions productrices, les hommes étaient davantage impliqués dans la gestion des vignobles et les travaux viticoles, tandis que les femmes se concentraient sur les tâches en cave (mise en bouteille, étiquetage) ou sur les activités administratives et de gestion.
En outre, des études menées dans différents contextes, et en particulier en Italie, démontrent que le rôle des femmes dans la viticulture peut être un facteur clé pour une utilisation plus équitable des ressources naturelles et pour la réduction de l’impact environnemental de la filière (Gaard & Murphy, 1998 ; Bonewit & Shreeves, 2015 ; Barca, 2020 ; Armiero, 2021). Cela a des implications notables pour réduire l’exposition du secteur aux effets du changement climatique en cours (Galbreath & Tisch, 2022 ; Rodrigues & Di Quarto, 2023).
Dans le cadre de cette recherche et afin d’explorer les vulnérabilités intersectionnelles auxquelles sont confrontées les femmes dans la viticulture, le choix s’est porté sur le contexte italien. Ce choix repose sur plusieurs éléments : d’une part, les relations et contacts établis qui ont permis de collecter un corpus de données à analyser et, d’autre part, l’importance historique de ce secteur. En effet, les études diachroniques sur les paysages viticoles italiens trouvent leurs origines dans les écrits de Sereni (1961, 1964, 1965) et dans les travaux de Quaini (2009a, 2009b), Agnoletti (2010a, 2010b) et Ferretti (2011). De plus, les problématiques liées au changement climatique et le poids économique du secteur viticole dans la péninsule renforcent la pertinence de cette étude.
Néanmoins, comme en témoignent diverses expériences internationales, le secteur viticole en Italie évolue lentement vers une plus grande inclusivité dans tous les domaines et segments de production, offrant ainsi davantage d’opportunités de carrière aux différents genres. Des organisations et associations ont été créées pour soutenir les femmes dans la viticulture, promouvoir l’égalité des sexes dans ce secteur et proposer des stratégies d’accompagnement, des formations ainsi que des opportunités de mise en réseau.
Protéger les contributions des travailleurs tout au long de la chaîne de production et garantir l’équité ainsi que la rentabilité à court, moyen et long terme est essentiel pour promouvoir un paysage véritablement durable. Un paysage unifié suppose une cohérence satisfaisante des valeurs sous-jacentes, ce qui implique nécessairement la prise en compte de l’équité socio-spatiale et de la justice sociale et de genre (Massey, 1994 ; Bondi & Domosh, 2001 ; Rondinone, 2003). Malgré ces efforts, plusieurs questions demeurent : quels sont les défis spécifiques rencontrés par les femmes dans le secteur viticole en Italie ? Quels obstacles et barrières doivent-elles surmonter au quotidien ? En quoi une plus grande inclusion des femmes peut-elle renforcer la compétitivité et la durabilité socio-environnementale du secteur ?

Il est néanmoins essentiel de souligner que la vulnérabilité ne doit pas être perçue comme une caractéristique intrinsèque des femmes ou de tout autre groupe social, mais bien comme une condition partagée par l’ensemble des êtres humains en raison de leur corporéité et de leur place dans la société (Giolo, 2023). Cette perspective fait écho aux travaux de Judith Butler, qui considère que la vulnérabilité est inhérente à la condition humaine en raison de la nature précaire et contingente de l’existence. Toutefois, cette vulnérabilité revêt également une dimension sociale, résultant des inégalités structurelles et des dynamiques de pouvoir au sein des sociétés (Butler, 1990 ; 1993 ; 2004a ; 2004b ; 2011 ; 2012 ; 2013 ; 2016). Dans ce contexte, la vulnérabilité socio-environnementale doit être appréhendée à travers des prismes culturels et historiques (Adger, 2006 ; Bankoff, 2018).
Face à ce constat, il devient impératif d’analyser non seulement les vulnérabilités du secteur viticole, mais aussi sa capacité de réponse aux forces extérieures, notamment les impacts croissants du changement climatique qui compromettent la production et la rentabilité de la filière, en particulier pour les petits producteurs. En effet, les bouleversements climatiques représentent une menace majeure pour la viticulture, avec des saisons de croissance modifiées et une fréquence accrue des événements climatiques extrêmes. L’industrie est aujourd’hui à un tournant crucial, devant redéfinir ses stratégies de résilience. Il est donc essentiel d’explorer les mesures d’adaptation mises en place afin de mieux comprendre la capacité du secteur à faire face à ces défis et à maintenir sa trajectoire de croissance et d’innovation.
Si l’objectif premier de cet article est d’offrir un panorama du rôle des femmes dans la viticulture en Italie, il vise également à mettre en lumière les nombreux défis, stigmates et processus de « mise sous verre » (glassing) auxquels elles doivent faire face. Elles ne sont pas uniquement des travailleuses, mais aussi des créatrices et des gardiennes d’espaces — parfois qualifiés d’« alternatifs », de « périphériques » ou de « marginalisés » — au sein des divers paysages dans lesquels elles évoluent. Toutefois, pour mieux définir et explorer ce champ d’étude, il est essentiel d’établir une feuille de route permettant de présenter tous les éléments du tableau dans leur ensemble.
Dans l’Antiquité, certaines cultures interdisaient aux femmes de consommer du vin, une interdiction dont la transgression pouvait être punie de mort. Le vin (et plus largement l’alcool) était alors considéré comme une boisson exclusivement réservée aux hommes. Concernant leur rôle dans l’industrie viticole, les femmes ont longtemps été reléguées à des tâches subalternes, se limitant à l’aide dans les vignobles ou à la gestion administrative des domaines viticoles, car elles étaient perçues comme physiquement fragiles. Elles n’étaient souvent considérées que comme les « épouses du vigneron », des assistantes ou de simples ouvrières. De plus, comme le rapporte O’Meara (2021), dans de nombreuses cultures, il leur était interdit d’entrer dans les caves à vin, car les hommes croyaient que leur cycle menstruel pouvait « gâter le vin ». Les femmes ont également été confrontées à de nombreux préjugés sexistes, notamment l’idée qu’elles n’étaient pas assez robustes pour travailler dans les vignobles ou incapables de prendre de bonnes décisions en matière de vinification. Progressivement, elles sont toutefois passées du statut de simples ouvrières à celui de figures occupant des postes de responsabilité.
Une première vague de femmes a ainsi pris la direction de domaines viticoles aux XVIIIe et XIXe siècles. Ce n’est toutefois qu’après 1950 que l’on commence à voir des femmes fonder leurs propres domaines viticoles, sans être uniquement « l’épouse de », « la fille de » ou « la veuve de ». Cette fois, leur engagement découle avant tout de leur passion et de leur propre volonté de créer un domaine. La présence des femmes dans le monde du vin s’est progressivement démocratisée, bien que beaucoup d’entre elles affirment devoir fournir deux fois plus d’efforts pour prouver leur légitimité. En effet, comme le souligne l’anthropologue Amalia Signorelli, entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et les années 1960, le monde rural italien a connu une transformation majeure, aux implications socioculturelles significatives, notamment du point de vue de la « subjectivité féminine ». Pourtant, les sources ont souvent « occulté » ce processus. D’après les données et les politiques analysées, la lutte pour la terre (tout comme la Résistance partisane) a été largement interprétée sous un prisme « familialiste », c’est-à-dire en fonction des rôles familiaux des individus (Viviani, 1955, 1965 ; Lombardi, 1960 ; Tentori, 1960 ; Pizzorno, 1965 ; Seppilli, 1970). De plus, même dans les recherches économiques contemporaines, les femmes apparaissent uniquement comme des actrices économiques associées à des rôles familiaux, ce qui illustre bien l’ambiguïté du terme « coadjuvant » utilisé dans ce contexte (Cutrufelli, 1975 ; Padoa Schioppa, 1977).
Un autre point mis en avant par Signorelli, en lien avec cette vision « familialiste », est la représentation des femmes réduite à des stéréotypes, les cantonnant aux soins du foyer, au travail de la terre et à la préservation des « valeurs traditionnelles », ces dernières étant perçues comme des « affaires de femmes » (Signorelli, Trittico & Rossi, 1977 ; Cornelisen, 1976 ; Schiavo, 1984 ; Signorelli, 1996).
Aujourd’hui, la situation semble avoir évolué : de plus en plus de femmes occupent des postes de responsabilité dans le secteur viticole. Elles dirigent des domaines, président des syndicats viticoles, fondent des entreprises ou participent à l’industrie du vin en tant qu’auteures et influenceuses. De nombreuses femmes possèdent désormais leurs propres vignobles et produisent du vin, que ce soit en Italie, en France, aux États-Unis, en Argentine ou en Afrique du Sud, ces pays étant aujourd’hui des acteurs majeurs sur le marché mondial. Cependant, comment mesurer précisément l’ampleur de ce phénomène?
Cadre théorique & méthodologie
L’agriculture — et plus particulièrement la viticulture, comme il sera démontré — se situe à l’intersection des enjeux environnementaux et des questions de genre dans un contexte social plus large. Les disparités de genre, bien que largement documentées, restent profondément ancrées dans ce secteur économique. Cependant, la viticulture constitue également un terrain d’expérimentation pour diverses initiatives liées aux moyens de subsistance ainsi que pour des approches « féminines » ou « écoféministes ». Ces constats soulèvent plusieurs interrogations. Dans un paysage où les femmes et les minorités de genre rencontrent des obstacles dans l’accès à la terre, comment peut-on développer des modèles alternatifs ? Comment établir des liens entre les défis environnementaux et les inégalités de genre dans la production viticole ? Quelles perspectives offrent les femmes engagées dans la viticulture ? Comment leurs expériences et leur expertise peuvent-elles enrichir les pratiques viticoles et, plus largement, notre rapport à la terre et à l’environnement ? Enfin, de quelle manière ces perspectives peuvent-elles contribuer à promouvoir une viticulture plus durable et équitable ?
Cet article part d’un livre récemment publié par Il Sileno editore Harvest herstories. A Brief essai on Wine and Agriculture in Italy (Guadagno, 2024) et s’inspire d’expériences personnelles dans le secteur viticole. Il s’appuie également sur de nombreuses recherches, menées depuis 2018, qui m’ont plongées dans les récits, les représentations et les pratiques de divers contextes viticoles italiens. Ces recherches ont inclus la participation à différents forums institutionnels et événements consacrés à ce sujet.
Ces études qualitatives, menées principalement en Italie, ont impliqué une analyse approfondie de plusieurs régions et des échanges avec des acteurs clés du monde viticole. Parmi eux figuraient des propriétaires de vignobles, des vignerons et des experts du secteur, dont les témoignages ont non seulement répondu aux questions de recherche, mais ont aussi révélé les défis quotidiens, les préoccupations et les aspirations liés à leur métier. Ces échanges ont mis en évidence la nécessité d’examiner une réalité souvent simplifiée et exploitée à des fins commerciales et marketing. Le monde du vin, avec ses traditions millénaires et ses enjeux contemporains, mérite une analyse nuancée et critique, au-delà des récits promotionnels convenus – en particulier en Italie, où les dimensions culturelles, sociales et économiques s’entrelacent de manière complexe (Gambi, 1994 ; Blondel, 2006). Le secteur viticole, au-delà de son attrait et de son esthétisme (souvent utilisés dans des stratégies de distinction économique, pour reprendre la terminologie bourdieusienne), révèle une multitude d’enjeux économiques, sociaux et environnementaux cruciaux, historiquement structurés et imbriqués. En effet, le vin n’est pas seulement un produit agricole : il est ancré dans la culture, le savoir-faire traditionnel, les territoires, les paysages et, bien sûr, un univers de marketing et de tourisme. Dans son ouvrage de 2002 publié dans Social Register, The Art of Rent: Globalization, Monopoly and the Commodification of Culture, David Harvey considère que :
Wine consumption has many dimensions that open paths to profitable exploitation. For many it is an aesthetic experience. Beyond the sheer pleasure (for some) of a fine wine with the right food, there lie all sorts of other referents within the Western tradition that track back to mythology (Dionysus and Bacchus), religion (the blood of Jesus and communion rituals) and traditions celebrated in festivals, poetry, song and literature. Knowledge of wines and “proper” appreciation is often a sign of class and is analyzable as a form of “cultural” capital (as Bourdieu would put it). […] The wine trade is about money and profit but it is also about culture in all of its senses (from the culture of the product to the cultural practices that surround its consumption and the cultural capital that can evolve alongside among both producers and consumers). […] In practice what we find within the wine trade is a host of competing discourses, all with different truth claims about the uniqueness of the product.
C’est pourquoi la complexité de ce secteur le rend particulièrement fascinant, bien qu’il constitue un domaine d’étude exigeant, nécessitant une approche multidisciplinaire ainsi qu’une sensibilité accrue aux dynamiques spatiales, économiques, environnementales et sociales qui le structurent et le définissent. Enfin, cet article part du postulat que le « monde du vin » représente bien plus qu’une simple réalité associée à une boisson à déguster : il constitue un univers imprégné d’histoire, de culture, de travail, de luttes individuelles et collectives, ainsi que de passion, méritant d’être exploré et compris dans toute sa complexité et ses multiples nuances. Il apparaît clairement que la question des inégalités de genre est étroitement liée au débat politique sur les enjeux environnementaux, en particulier en ce qui concerne les identités non binaires (Kumar, 2021 ; Shukla et al., 2024). Heureusement, la reconnaissance des identités queer se diffuse progressivement dans les sphères sociales, politiques, économiques et institutionnelles (Russel et al., 2023 ; Worthen, 2023 ; Roberson et al., 2024). D’un point de vue conceptuel et théorique, ces perspectives visent à sensibiliser aux intersections entre environnement, identité de genre et autres formes de subalternité (Weder & Samanta, 2021 ; Kosanic et al., 2022), mettant en lumière les multiples systèmes d’oppression (Kilpatrick et al., 2023), tout en renforçant paradoxalement les réseaux de soutien et en favorisant l’action collective (Seymour, 2020 ; Dalton, 2023 ; Goldsmith et al., 2022).
La mise en œuvre de cette étude, tout en reconnaissant ses limites inhérentes dans la capture de l’ensemble d’un phénomène complexe, a nécessité une approche méthodologique approfondie et nuancée. Notre démarche a débuté par une immersion dans les récits d’expériences vécues, amorcée en 2018. Les résultats de ces premiers entretiens ont servi de fondement à nos investigations ultérieures, chaque témoignage mettant en lumière les multiples défis et réussites des femmes dans le secteur viticole. Sur cette base, notre méthodologie a évolué vers une approche plus structurée, avec la mise en place d’entretiens semi-directifs, formalisés avec précision en 2023.
À mesure que notre enquête s’est élargie, notre stratégie d’échantillonnage s’est également affinée, visant à capturer la diversité des voix présentes dans l’industrie. Nous avons adopté une technique d’échantillonnage en boule de neige (snowball sampling), ce qui nous a permis d’intégrer une multitude de perspectives variées et ainsi dresser un portrait complet du paysage viticole. Ces interactions, qu’elles soient issues de figures expérimentées du secteur ou de nouvelles voix émergentes, ont enrichi notre analyse en reflétant la diversité des expériences.

Notre enquête s’est articulée autour de quatre axes fondamentaux, chacun étant étroitement lié au concept de vulnérabilité intersectionnelle qui imprègne les expériences des femmes dans la viticulture :
- Conciliation travail-famille et planification familiale : l’étude de cet équilibre délicat entre aspirations professionnelles et responsabilités familiales nous a conduit à analyser les stratégies mises en place par les femmes pour naviguer entre ces impératifs. Cette section explore des aspects personnels tels que les relations et la parentalité, en abordant les défis potentiels de la gestion des responsabilités familiales dans un secteur historiquement masculin comme la viticulture.
- Difficultés liées au travail : au-delà des apparences de la vie professionnelle, nous avons examiné les nombreux défis liés aux dynamiques interpersonnelles, qu’il s’agisse des relations familiales, des interactions avec les collègues ou des négociations avec les structures institutionnelles. Cette section met en lumière les discriminations fondées sur le genre ou l’appartenance LGBTQ+ au sein du secteur viticole, incitant à une réflexion sur leurs causes et les solutions possibles. Elle souligne l’importance de lutter contre les inégalités systémiques pour favoriser un environnement de travail plus inclusif.
- Engagement au sein des associations professionnelles : nous avons analysé le rôle des réseaux professionnels dans l’industrie viticole, en évaluant leur engagement en faveur de l’inclusivité de genre et leur efficacité à amplifier les voix des femmes du secteur. L’adhésion à ces associations est également explorée, mettant en lumière leur rôle dans l’accompagnement et la progression des femmes dans l’industrie. Les questions sur la satisfaction des membres et les pistes d’amélioration permettent d’identifier les leviers possibles pour renforcer leur soutien.
- Gestion du travail face aux impacts du changement climatique : dans un contexte de bouleversements climatiques, nous avons étudié l’évolution des dynamiques de gestion du travail, en analysant les stratégies d’adaptation mises en place pour atténuer les effets des changements environnementaux sur les ressources humaines et les pratiques agricoles. Cette section aborde les difficultés environnementales liées au climat et souligne leur impact significatif sur la production viticole. Les questions posées aux participants visent à évaluer leur perception de ces défis et les mesures qu’ils mettent en place pour y faire face, mettant en évidence la nécessité pour le secteur de s’adapter à ces nouvelles conditions climatiques.
Les entretiens semi-directifs ont été organisés afin de fournir un cadre d’analyse global des expériences des femmes dans l’industrie viticole, en abordant à la fois les défis personnels et systémiques tout en explorant les opportunités de soutien et de renforcement de la résilience. En structurant notre recherche autour de ces axes thématiques, nous avons cherché à dégager et à illustrer partiellement la complexité des défis auxquels les femmes du secteur sont confrontées, tout en identifiant des pistes potentielles pour renforcer leur résilience et leur autonomisation au sein de l’industrie.
À la fin, des questions ouvertes (essentiellement axées sur les expériences personnelles dans le secteur), les participantes ont été invitées à utiliser une échelle de Likert (de 1 à 5) pour fournir une description quantitative de leurs réponses. Dans d’autres cas, les personnes interrogées ont directement répondu aux questions fermées.
Il est important de reconnaître les éventuels biais de cet échantillon, qui peuvent découler de ma position en tant que chercheur, de mon ancrage géographique initial et de mes réseaux préexistants. De plus, une grande partie des rencontres a eu lieu lors de foires viticoles en Campanie, ce qui limite la représentativité globale et oriente l’échantillonnage vers certaines spécificités régionales. Cet échantillon ne prétend donc pas être exhaustif, mais vise à illustrer certains aspects pertinents pour l’analyse.
Au total, 56 femmes ont été interrogées par le biais d’entretiens en face-à-face, de conversations téléphoniques ou d’enquêtes en ligne. L’échantillon est exclusivement composé de personnes s’identifiant comme « femmes », avec un âge variant de 21 à plus de 70 ans. Le choix de ne pas inclure d’échantillon témoin résulte de l’objectif d’examiner comment les forces capitalistes de reproduction influencent les pratiques environnementales des femmes, en s’appuyant sur le cadre interprétatif établi par Barca (2020).
La majorité des participantes détient un diplôme universitaire, suivie de celles ayant obtenu un doctorat ou un master, ce qui s’aligne avec une tendance au dynamisme culturel et intellectuel, particulièrement marquée chez les jeunes générations. Une plus petite partie de l’échantillon a uniquement terminé ses études secondaires. Les rôles professionnels des participantes sont variés, englobant des co-propriétaires d’entreprises familiales, des employées et des entrepreneures indépendantes. Toutefois, une grande partie des femmes interrogées sont propriétaires de domaines viticoles situés principalement dans le sud de l’Italie. Elles gèrent des exploitations allant de moins d’un hectare à plus de cinq hectares, les plus grandes étant généralement situées dans le nord du pays. La répartition géographique de l’échantillon offre ainsi une représentation large des différentes régions italiennes, incluant le nord, le centre, le sud ainsi que les îles.
En complément de cet échantillon, j’ai également eu l’opportunité d’échanger avec dix acteurs clés du secteur (occupant des rôles institutionnels ou reconnus). Ces entretiens approfondis m’ont permis d’acquérir une vision plus cohérente du sujet, de bénéficier de suggestions éclairantes et d’obtenir une perspective unique sur les enjeux explorés.
Contexte juridique
Claudia Korol (2016) met en évidence que l’invisibilisation du travail reproductif ne résulte pas uniquement du manque de reconnaissance du travail domestique non rémunéré, mais concerne également le travail productif au sens strict. Ce dernier reste souvent non comptabilisé dans les comptes nationaux, car il est perçu comme une simple extension des tâches liées à la reproduction de la vie personnelle et familiale.
Parmi d’autres chercheurs, Criado-Perez (2019) souligne que, depuis les années 1980, les femmes rurales ont été progressivement reconnues comme détentrices de droits, entraînant un changement significatif dans les cadres de politique publique pour le développement rural. Ce tournant a mis en avant leur rôle jusqu’alors marginalisé en tant que productrices. Par ailleurs, il est important de noter que les revendications des mouvements féministes pour l’égalité des sexes trouvent un écho dans les initiatives liées à l’agroécologie et à la souveraineté alimentaire. Ces initiatives visent à lutter contre les inégalités de genre tout en veillant à ne pas reproduire ni exacerber celles existant entre les femmes elles-mêmes. L’enjeu réside ainsi dans la nécessité de travailler sur les mécanismes et structures qui engendrent ces inégalités, indépendamment de la stratification sociale (Bryan et al., 2024).
En ce qui concerne spécifiquement l’égalité des sexes, en 1986, le Conseil de l’Union européenne a adopté la directive 86/613/CEE relative à l’application du principe de l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes exerçant une activité indépendante, y compris dans l’agriculture, et à la protection des travailleuses indépendantes pendant la grossesse et la maternité. Toutefois, pour trouver des références précises aux disparités de genre dans les zones rurales et aux mesures de soutien dédiées, il faut se référer au Règlement n° 1257/1999 sur le développement rural, qui introduit des références aux inégalités socioéconomiques et notamment à la nécessité de surmonter les écarts entre les sexes.
La réforme de la Politique agricole commune (PAC) au début des années 2000 a introduit une nouvelle approche visant à dépasser la fragmentation des interventions individuelles. Elle a intégré les activités agricoles dans un cadre territorial plus large, considérant l’agriculture à la fois comme un levier de compétitivité pour les entreprises et un facteur de développement pour les territoires marginalisés (selon la Directive 2000/78/CE du Conseil). La mise en œuvre de cette réforme, avec d’autres objectifs spécifiés, devait être intégrée aux mesures de soutien définies par les États membres.
Cependant, la priorité a été donnée à la généralisation des programmes de développement rural, reléguant au second plan la refonte des dynamiques de genre dans les contextes agricoles. Notamment, les conclusions du Conseil de l’Agriculture ont omis de mentionner la contribution des femmes au travail agricole, préférant présenter leurs activités rurales comme un « travail diversifié », en les reliant à l’idée d’autonomisation (empowerment). Le Conseil a néanmoins reconnu la nécessité de poursuivre l’intégration des femmes dans divers secteurs d’emploi émergents au sein du développement rural intégré, tels que les nouvelles technologies de l’information, le télétravail, les services locaux, le tourisme rural, les loisirs, la garde d’enfants et la préservation de l’environnement.
Plus récemment, le Parlement européen et le Conseil de l’UE ont adopté la Directive 2010/41/UE, qui reprend le principe de l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes exerçant une activité indépendante, tout en abrogeant la directive 86/613/CEE. Par ailleurs, le Règlement n° 1305/2013, en vigueur jusqu’en décembre 2022, a reformulé le cadre des mesures de développement rural autour de six priorités définies à l’échelle de l’UE. Parmi ces priorités figurait la promotion de l’égalité des sexes, y compris la participation des femmes à l’agriculture, dans un contexte d’inclusion sociale et de développement économique rural.
Malgré ces avancées, l’intégration des considérations de genre dans les politiques agricoles demeure un défi, en particulier lors du processus législatif. Le Parlement européen joue un rôle clé dans la promotion de l’égalité des sexes dans les politiques agricoles, notamment à travers des amendements et des propositions visant à réduire les disparités de genre.
De même, lors de l’élaboration des réglementations de la PAC 2023-2027 (Règlement (UE) n° 2021/2115), les références aux femmes dans les activités rurales étaient absentes de la proposition initiale de la Commission, mais elles ont été intégrées par la suite grâce aux amendements du Parlement européen. Bien que des progrès aient été réalisés dans la reconnaissance et la prise en compte des inégalités de genre dans les politiques agricoles, des défis subsistent quant à leur intégration effective dans les cadres législatifs et leur mise en œuvre au niveau national (Shortall & Marangudakis, 2022).
Un exemple concret de ces difficultés réside dans l’application des mesures du Plan national de relance et de résilience (PNRR) de l’Italie concernant l’égalité des sexes. Ce plan aborde plusieurs aspects, allant de l’augmentation du taux d’emploi des femmes à la mise en place de mesures visant à alléger la charge des responsabilités familiales et à renforcer les services d’accompagnement. L’objectif est ainsi de favoriser une véritable écologisation des politiques et des pratiques (Hurtado & Porto-Gonçalves, 2022).
En matière d’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, le système juridique italien a mis en œuvre la directive récemment discutée en adoptant le Décret législatif n° 105 du 30 juin 2022. Bien que cette législation ait été adoptée dans les délais prescrits, elle n’a pas pleinement intégré les principes de la directive ni mené une réflexion approfondie sur la notion d’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, comme cela était initialement prévu (voir Alessi et al., 2022 ; Scarponi, 2022). L’intervention législative, définie à l’article 1, vise à améliorer l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée des parents et des aidants familiaux. Elle identifie cette question comme un levier clé pour favoriser un partage plus équilibré des responsabilités familiales entre les hommes et les femmes et pour réduire l’écart entre les sexes, aussi bien dans le cadre du travail que de la vie familiale.
Il est intéressant de noter l’usage récurrent du terme conciliazione (« conciliation »), qui véhicule une connotation plus négative, suggérant un compromis, par rapport à equilibrio (« équilibre »), qui serait une traduction plus juste de work-life balance (Esposito, 2022). Après cet article introductif, une série de mesures ont modifié le cadre juridique italien sur l’équilibre travail-vie privée, en intégrant des politiques de prise en charge et une plus grande flexibilité des horaires et des modalités de travail. L’objectif était d’institutionnaliser certaines politiques déjà expérimentées, avec quelques améliorations, ainsi que d’introduire de nouvelles interventions. Cependant, cette réforme est restée incomplète, témoignant d’une approche prudente vis-à-vis de la mise en œuvre totale du Family Act.
Un autre instrument législatif visant à réduire ces inégalités est la Stratégie nationale pour l’égalité des sexes 2021-2026, qui s’aligne sur l’agenda européen pour l’égalité des sexes 2020-2025. Cette stratégie comprend notamment un fonds dédié aux PME dirigées par des femmes et renforce les mesures dans le secteur agricole afin de faciliter l’accès au crédit et de mettre en place un service de certification de genre, qui pourrait avoir des effets incitatifs sur les dynamiques du marché.
L’histoire des inégalités de genre dans l’agriculture italienne est marquée par plusieurs éléments de discrimination structurelle. Par exemple, en 1934, l’indice Serpieri (aboli seulement en 1964) imposait que les femmes travaillant dans l’agriculture perçoivent moins de 60 % du salaire des hommes pour un travail équivalent. La réforme agraire de 1950, quant à elle, a permis à de nombreuses ouvrières agricoles de passer du statut de salariées à celui de “coadjuvant” (collaboratrices), une désignation qui a engendré diverses anomalies administratives et fiscales jusqu’en 2019, lorsque la loi L. 145/2018 (art. 1, c. 705) a aligné leur statut fiscal et social sur celui des propriétaires fonciers (Macrì et al., 2023).
La Loi 215/92 joue également un rôle clé dans le soutien aux entreprises dirigées par des femmes. Elle offre des aides financières aux petites entreprises détenues majoritairement par des femmes, qu’il s’agisse d’entreprises individuelles, de coopératives (avec au moins 60 % de femmes parmi les membres) ou de sociétés (avec au moins deux tiers des parts et du conseil d’administration détenus par des femmes). Elle prévoit aussi des subventions pour l’achat d’équipements, de logiciels et de brevets, ainsi que des prêts à faible taux d’intérêt remboursables sur 10 ans.
Par ailleurs, l’Italie, sous l’influence des directives de l’Union européenne, a mis en place une législation nationale visant à faciliter l’entrée des jeunes dans l’agriculture. Cette législation est mise en œuvre au niveau régional à travers le Plan de développement rural (PSR), qui propose des financements pour aider les jeunes à s’installer en agriculture ou à moderniser leurs exploitations.
Malgré ces avancées, l’intégration des questions de genre dans les politiques agricoles reste difficile, en particulier lors des processus législatifs. Le Parlement européen joue un rôle essentiel en proposant des amendements et des mesures pour réduire les inégalités de genre. Toutefois, lors de l’élaboration du Règlement (UE) n° 2021/2115 de la PAC 2023-2027, les références aux femmes dans les activités rurales étaient absentes de la proposition initiale de la Commission européenne. Elles n’ont été intégrées qu’après des modifications du Parlement européen.
De même, bien que le Plan stratégique national (PSN), en place depuis 2007, inclue une attention aux politiques de genre, les Programmes de développement rural (PDR) des périodes 2007-2013 et 2014-2020 ont montré un manque d’initiatives concrètes pour favoriser l’égalité des sexes (Del Prete & Zumpano, 2014 ; Cresta, 2008b ; Macrì et al., 2023).
Le Règlement organique sur la viticulture et la production et commercialisation du vin (L. 238/2016) met principalement l’accent sur les normes biologiques de production et de commerce du vin, mais il ne contient aucune référence spécifique aux inégalités de genre ni à la participation des femmes dans l’industrie viticole. Or, la saisonnalité du travail viticole constitue un défi majeur pour la planification familiale et la répartition des responsabilités domestiques, encore largement assumées par les femmes. Cette absence de reconnaissance traduit un manque de prise en compte des disparités de genre dans ce secteur (Zumpano, 2017).

Bien que la loi promeuve des pratiques durables, elle ne garantit pas l’égalité des chances pour les femmes dans la viticulture et la production de vin. Il est donc nécessaire de plaider pour l’intégration explicite des questions de genre dans la législation nationale afin de mieux valoriser les territoires et les productions locales (Manzi, 1977, 2004, 2007 ; Quaini, 2009a, 2009b). L’analyse des dynamiques de genre dans la viticulture révèle un enchevêtrement de normes historiques, de politiques gouvernementales et de perceptions sociétales, qui perpétuent l’invisibilisation du travail des femmes. Malgré certaines avancées, l’écart entre les discours politiques et l’application concrète des mesures d’égalité demeure un défi, comme en témoignent les difficultés d’accès des femmes aux ressources et à la reconnaissance de leur rôle dans l’agriculture.
Il est également difficile de quantifier précisément la présence des femmes dans la filière viticole, que ce soit en tant que propriétaires de terres, chefs d’entreprise, gestionnaires, ouvrières agricoles, œnologues ou sommelières. Les données de l’ISTAT fournissent une vision globale, mais elles restent fragmentées et hétérogènes selon les sources. En Italie, la viticulture est dominée par les petits producteurs (avec une moyenne de 2 hectares par exploitation), ce qui complique l’analyse des dynamiques de genre. Le système éducatif illustre néanmoins une progression de la représentation féminine. Bien que les instituts viticoles aient historiquement été des écoles masculines, une augmentation notable de la présence féminine y est observée ces dernières décennies.
Enfin, la faible présence des femmes dans les instances de gouvernance reste préoccupante : en 2024, sur 133 consortiums viticoles répertoriés par le ministère, seulement 14 ont une présidente. Cette situation reflète un déséquilibre significatif en matière de représentation et de pouvoir de décision dans le secteur.
L’existence d’associations féminines, telles que Le Donne del Vino, montre que la question de la représentation des femmes dans l’industrie viticole reste un enjeu central. Cependant, ces initiatives soulèvent des questions : servent-elles réellement à l’autonomisation des femmes ou participent-elles à la perpétuation d’une séparation des rôles ?
Au-delà des récits inspirants souvent mis en avant, des données préoccupantes émergent du travail de terrain, suscitant une réflexion non seulement sur le monde du vin ou de l’agriculture, mais aussi sur la société italienne dans son ensemble. En s’appuyant sur le corpus d’entretiens et de questionnaires, les résultats de l’enquête seront analysés en fonction des quatre axes thématiques suivants :
- Conciliation travail-famille et planification familiale
- Difficultés liées au travail
- Engagement au sein des associations professionnelles
- Gestion du travail face aux impacts du changement climatique
L’analyse des données collectées à travers les enquêtes offre un aperçu détaillé de la situation des vigneronnes en Italie, en mettant en lumière les facteurs démographiques, les caractéristiques professionnelles ainsi que les perceptions relatives aux discriminations et aux défis environnementaux.
Les participantes, principalement propriétaires ou co-propriétaires de domaines viticoles, témoignent d’un fort attachement à leur activité principale, souvent motivé par la passion, la curiosité et, dans certains cas, par des pressions familiales. La majorité d’entre elles exploitent des domaines de plus de cinq hectares, répartis dans différentes régions d’Italie.
Un point notable ressort des réponses : sur 56 participantes, 55 déclarent que leur engagement dans la viticulture a été motivé par une passion initiale. Toutefois, cette passion est associée à des dynamiques variées : pour 7 d’entre elles, elle est liée à une pression familiale, tandis que 5 autres l’associent à une volonté de rédemption, suggérant ainsi des parcours influencés par des contextes personnels et sociaux diversifiés.
Quelques résultats
Les résultats montrent que 23 des 56 femmes interrogées ont des enfants et 2 souhaitent en avoir. Pourtant, 42 considèrent qu’il est extrêmement difficile d’avoir une famille dans ce secteur, et 37 estiment que la maternité constitue un obstacle à leur carrière. Certaines tâches spécifiques du secteur, comme la dégustation du vin (impossible pendant la grossesse et l’allaitement) ou la nécessité d’être disponible en permanence pendant les vendanges, y compris la nuit, sont des défis majeurs pour les viticultrices, les ouvrières et les agronomes.
Un problème récurrent est le manque de services familiaux en milieu rural (garde d’enfants, prise en charge des personnes âgées), particulièrement dans les entreprises familiales où la frontière entre vie professionnelle et personnelle est inexistante. Laura Donadoni souligne que la charge mentale représente un fardeau majeur pour les femmes dans ce contexte.
Les contraintes liées à la maternité sont amplifiées par la saisonnalité des activités agricoles, qui rend difficile l’articulation entre travail et vie familiale, surtout en l’absence d’infrastructures adaptées. Barbara Sgarzi qualifie la question de la maternité de “problème central”, mettant en évidence l’absence de subventions pour les travailleuses saisonnières ou non déclarées, ainsi que l’impossibilité pour ces dernières d’accéder aux écoles et aux crèches.
Enfin, 13 participantes insistent sur l’importance du “courage” comme unique moyen de concilier famille et carrière, soulignant ainsi la nécessité de politiques et de soutiens ciblés pour accompagner les femmes dans la gestion de ces responsabilités.
Ces femmes déclarent ressentir une discrimination basée sur le sexe avec une moyenne de 3,2/5 sur l’échelle de Likert, tandis que la discrimination liée au genre (identités non binaires, LGBTQ+) est jugée insignifiante (0,9/5). Cela indique que si la discrimination fondée sur le sexe est reconnue, les questions relatives aux identités de genre sont largement ignorées dans un secteur peu diversifié, notamment sur le plan ethnique.
La principale cause de discrimination évoquée par 36 participantes est d’ordre socioculturel. 37 participantes pointent du doigt les consortiums et les institutions (syndicats, municipalités, administrations locales) comme acteurs de cette discrimination structurelle.
Témoignages à l’appui : « Au consortium, ils me demandent toujours de parler à mon père. »; « Au syndicat, je ne me sens pas représentée, ils sont tous des hommes. »
La discrimination familiale est signalée par 11 participantes (dont 9 issues du sud de l’Italie), illustrant le poids des normes culturelles et sociales dans la restriction des rôles des femmes.
Témoignages : « Mon père/mon frère ne veut pas que je travaille dans les champs. »; « Mon père dit que ce n’est pas un travail pour une femme, alors je fais du marketing et de l’administration. »
De plus, 8 participantes (dont 5 du sud) rapportent que leurs subordonnés refusent d’obéir parce qu’elles sont perçues comme incapables de gérer un vignoble.

Les solutions proposées pour surmonter ces obstacles incluent :
- L’éducation (25 participantes)
- Le changement culturel (29 participantes)
- Le renouvellement générationnel (2 participantes)
Parmi les 56 participantes :
- 18 sont membres d’une association, dont 10 d’associations féminines (7 dans “Le Donne del Vino” et 3 dans “Sbarbatelle”)
- 21 appartiennent à un consortium
- 13 sont affiliées à des syndicats
Les principales raisons d’adhésion concernent :
- Le partage de valeurs (note moyenne de 4/5)
- Le réseau local (3,5/5)
- La visibilité sur le marché (3,3/5)
- Les échanges avec les institutions (2,9/5)
Toutefois, les femmes interrogées se montrent critiques à l’égard des associations féminines, qu’elles jugent parfois trop cloisonnées. Certaines dénoncent un fonctionnement basé sur la filiation (épouses, filles, sœurs de…) plutôt qu’un environnement réellement inclusif. En conclusion, bien que les associations offrent des opportunités de réseautage et de partage de valeurs, elles restent confrontées à plusieurs défis :
- Éviter d’entretenir des dynamiques de ségrégation
- S’assurer d’une véritable inclusivité
- Renforcer leur impact sur l’ensemble du secteur viticole
Le changement climatique représente un défi majeur pour les productrices de vin, avec des impacts observés tels que :
- Changements dans les précipitations
- Sécheresses prolongées
- Augmentation des vagues de chaleur
- Prolifération accrue des pathogènes
En réponse, de nombreuses productrices adoptent des techniques de viticulture de précision et mettent en place des irrigations d’urgence. Une forte sensibilité environnementale est également relevée, combinant méthodes traditionnelles et innovations pour limiter l’impact du changement climatique. Sur une échelle de Likert, les participantes évaluent leur inquiétude à 3,8/5.
Les préoccupations se répartissent ainsi :
- Altération du taux d’alcool et des arômes (21 sur 56)
- Modification des rendements annuels (35 sur 56)
- Instabilité croissante des précipitations (32 sur 56)
Les petites entreprises sont particulièrement vulnérables face à ces aléas climatiques, et si certaines bénéficient de fonds spécifiques, ceux-ci ne prennent pas toujours en compte les risques à moyen et long terme. Sur la question du genre et du climat, les avis divergent :
- 12 participantes pensent que les femmes sont plus sensibles aux enjeux climatiques
- 7 considèrent que ces impacts touchent hommes et femmes de manière équivalente
Cependant, 38 des femmes interrogées déclarent avoir adopté des solutions innovantes telles que :
- Viticulture de précision
- Utilisation de filets anti-stress
- Retour à des pratiques traditionnelles (paillage, réduction de l’effeuillage)
Ces initiatives témoignent d’une approche proactive face aux défis environnementaux, alliant modernité et savoir-faire ancestral.
Conclusion
Les résultats de cette étude de terrain offrent une perspective sur les réalités vécues par les femmes dans la viticulture en Italie. Ils vont au-delà des récits anecdotiques souvent relayés dans la presse pour mettre en lumière des défis structurels majeurs, qui s’inscrivent dans des dynamiques sociales plus larges et apportent une dimension concrète aux données officielles issues des recensements.
Si cette recherche souligne la passion et l’engagement des femmes pour leur métier, elle met aussi en évidence des obstacles significatifs qui impactent tant leur vie professionnelle que personnelle. L’un des problèmes majeurs soulevés concerne la difficulté de concilier vie professionnelle et vie familiale, une contrainte particulièrement marquée dans un secteur soumis aux impératifs saisonniers et implanté en milieu rural, où les services de soutien aux familles sont insuffisants. De nombreuses femmes estiment que la maternité freine leur carrière, en raison du calendrier des activités agricoles et du manque d’infrastructures adaptées en zone rurale. Ces résultats soulignent l’urgence de mettre en place des politiques globales qui favorisent des pratiques plus adaptées aux besoins des femmes, souvent amenées à jongler entre responsabilités familiales et obligations professionnelles.
Un autre enjeu clé mis en lumière est la discrimination fondée sur le sexe, avec des préjugés marqués dans le secteur. Les barrières institutionnelles et les normes culturelles perpétuent un traitement inégalitaire, limitant l’accès aux ressources, aux opportunités et à la reconnaissance sociale des femmes occupant des postes traditionnellement masculins. L’enquête révèle des écarts économiques, des attitudes discriminatoires de la part des collègues et supérieurs, ainsi qu’une marginalisation des identités de genre en dehors des rôles conventionnels. Pour remédier à ces inégalités systémiques, il est essentiel de mettre en place des initiatives éducatives, des changements culturels et des mécanismes de soutien ciblés favorisant une plus grande inclusion (Pulido, 1996; Torre, 2020).
Le rôle des associations professionnelles mérite également d’être interrogé. Une proportion significative de participantes exprime une insatisfaction à l’égard des réseaux existants, notamment ceux dédiés aux femmes. Bien que l’adhésion à ces associations constitue une opportunité précieuse de mise en réseau et de partage de valeurs, certaines critiquent leur tendance à reproduire des schémas de ségrégation plutôt qu’à remettre en question les rôles de genre traditionnels. Les femmes interrogées appellent à une plus grande inclusion, à davantage de formations, ainsi qu’à une amélioration de la communication au sein de ces structures, afin qu’elles puissent mieux accompagner tous les acteurs du secteur viticole et agricole.
Enfin, l’enquête met en évidence les vulnérabilités liées aux effets du changement climatique, qui menacent directement la durabilité et la productivité des vignobles. Les participantes expriment leurs inquiétudes face à la modification des régimes climatiques, à la fréquence accrue des événements extrêmes et à leurs répercussions sur la qualité du raisin et les volumes de production. Malgré ces défis, elles témoignent d’un fort engagement en faveur de pratiques innovantes et durables, combinant techniques de viticulture de précision et méthodes traditionnelles comme le paillage, afin de réduire les risques climatiques et de promouvoir une gestion environnementale responsable.
Les femmes travaillant dans le secteur viticole en Italie font preuve de résilience, de passion et d’un engagement constant envers l’excellence. Cependant, leurs expériences révèlent des défis systémiques majeurs, nécessitant des solutions variées et évolutives. Pour répondre aux enjeux liés à la conciliation travail-famille, à la discrimination, à l’inclusion dans les associations professionnelles et à la résilience climatique, une collaboration étroite entre les décideurs politiques, les acteurs du secteur et la société dans son ensemble est indispensable. Favoriser un environnement plus équitable et inclusif permettrait aux femmes de s’épanouir professionnellement et de contribuer activement à la diversité et à la durabilité du secteur viticole italien.
L’intersectionnalité des vulnérabilités qui ressort de cette étude ne signifie pas une absence d’autonomie pour les travailleuses, mais montre plutôt à quel point ces quatre axes (équilibre travail-famille, discrimination sexuelle, engagement associatif, impact du changement climatique) sont interconnectés. Ils ne se superposent pas simplement comme des couches indépendantes, mais s’entrelacent, amplifiant mutuellement leurs effets et engendrant de nouvelles formes de précarité.

Les solutions proposées par les personnes interrogées convergent vers un même objectif : dépasser l’invisibilité, la discrimination et la vulnérabilité systémique des femmes dans l’industrie viticole. Pour cela, il est nécessaire d’aller au-delà des politiques de simple assistance sociale (welfare) et de se concentrer sur un développement rural durable et inclusif. De plus, il est crucial de renforcer la représentation des femmes dans les conseils d’administration des consortiums viticoles, afin de garantir une meilleure prise en compte de leurs réalités et besoins.
Ainsi, bien que le changement climatique représente un défi majeur pour les producteurs de vin, l’industrie viticole fait preuve de résilience en adoptant des pratiques innovantes et une conscience environnementale accrue. Prendre en compte la dimension de genre et soutenir les petites exploitations seront des éléments clés pour encourager des réponses inclusives et adaptatives face aux défis climatiques.
En conclusion, la vulnérabilité intersectionnelle des femmes dans la viticulture italienne résulte d’un enchevêtrement complexe de facteurs sociaux, culturels et environnementaux. Les difficultés liées à la conciliation travail-famille, à la discrimination professionnelle, à l’implication dans les associations professionnelles et aux effets du changement climatique mettent en évidence la nécessité de solutions multiples et adaptées. La résolution de ces enjeux exige une collaboration étroite entre les responsables politiques, les professionnels du secteur et la société dans son ensemble. En créant un environnement plus équitable et inclusif, les femmes pourront s’épanouir professionnellement et contribuer pleinement à la durabilité et à la diversité du secteur viticole italien.
Les récits inspirants souvent mis en avant dans les médias, bien que précieux, ne sont que la partie émergée de l’iceberg. L’étude de terrain permet une compréhension plus profonde des défis systémiques, qui nécessitent des interventions ciblées allant au-delà des politiques de protection sociale pour s’orienter vers un véritable développement des territoires ruraux. Cela implique :
- Un meilleur accès à la formation et au crédit
- Une transformation des dynamiques culturelles au sein du secteur
- Le développement des infrastructures sociales pour rendre les zones rurales plus attractives et inclusives pour les femmes
Les efforts en faveur de l’inclusion doivent également prendre en compte les identités et expressions de genre au-delà du cadre binaire. La question des genres non binaires dans la viticulture demeure un sujet peu abordé et largement ignoré, soulignant le besoin de sensibilisation et d’éducation sur ces enjeux. En construisant un secteur viticole plus inclusif, chacun, indépendamment de son identité de genre, pourra contribuer pleinement et bénéficier des opportunités de l’industrie.
L’engagement en faveur de la lutte contre le changement climatique et la promotion de pratiques durables sont encourageants. De nombreux producteurs adoptent des techniques innovantes et des méthodes traditionnelles, telles que la viticulture de précision et le paillage, pour atténuer les risques climatiques et favoriser une gestion responsable des ressources naturelles. Toutefois, un soutien financier et logistique ciblé sera essentiel pour assurer la pérennité de ces initiatives et garantir la durabilité à long terme du secteur viticole. En approfondissant la compréhension de ces enjeux, nous pouvons œuvrer à la construction d’un secteur viticole plus équitable, inclusif et durable en Italie. Cela implique une redéfinition des cadres de pensée et un changement de paradigme, comme l’exige la néo libéralisation des politiques de durabilité.
Comme le soulignent Tulloch et Neilson (2014, p. 36) : « Les problèmes environnementaux sont complexes et multiformes, et une approche véritablement transformatrice nécessite une réflexion critique sur les visions du monde établies qui sous-tendent les approches dominantes. »
Les résultats et les solutions proposées offrent une feuille de route pour s’attaquer aux défis systémiques rencontrés par les femmes dans la viticulture. Cette étude met en évidence l’urgence de politiques inclusives et d’initiatives concertées pour promouvoir l’égalité des genres et soutenir la croissance professionnelle et personnelle des femmes dans le secteur.
Au-delà des enjeux spécifiques à la viticulture, cette enquête soulève des questions plus larges sur la société italienne, notamment sur les inégalités de genre et le manque de soutien aux familles. Les résultats de l’étude appellent à des réformes structurelles visant à favoriser l’inclusivité et la durabilité. Les solutions mises en avant par les personnes interrogées et les acteurs privilégiés s’alignent autour d’une meilleure visibilité des femmes dans l’industrie, la lutte contre la discrimination et la réduction des vulnérabilités intersectionnelles, parce que construire des territoires réellement durables implique de tenir compte des structures sociales qui les façonnent. Cela signifie qu’il faut remettre en question l’idéal technoscientifique de contrôle de la durabilité du système agroalimentaire et la vision néolibérale de la “sécurité alimentaire”. Il est impératif de reconnaître le rôle crucial des populations souvent négligées dans la production alimentaire, notamment les femmes, les enfants, les travailleurs migrants et bien d’autres. Comme le rappelle Doreen Massey (1994), repenser les dynamiques agricoles implique une transformation sociale et économique en profondeur, qui ne peut être atteinte sans une approche inclusive et solidaire.
Eleonora Guadagno
Professeur de géographie, Université e-Campus (Italie)
Pour citer cette publication : Eleonora Guadagno, Vins, genres et territoires : une lecture intersectionnelle de la viticulture, AgriGenre, octobre 2025
Source en ligne : https://agrigenre.hypotheses.org/26599
DOI : https://doi.org/10.58079/14tmc
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